Un prototype du système de paravents et ventilation, mené sous l’impulsion du chef étoilé Alain Ducasse et du designer Patrick Jouin, a été testé en juin 2020 au restaurant Allard, à Paris.
© Philippe Vaures Santa Maria
Faire tourner un établissement n’a rien d’une sinécure pour les hôteliers et les restaurateurs, à l’heure du Covid-19. Toutefois, en plus des solutions d’urgence tel que le « click & collect », certains en profitent pour repenser une façon de recevoir, accueillir, servir… Ils innovent et s’adaptent en se projetant déjà dans l’après-crise.
Depuis un an, tout un secteur revoit sa façon de fonctionner. Hôteliers et restaurateurs repensent leur métier dans une crise sanitaire au long cours. Le « click & collect » permet à certains de rester ouvert. Mais, parfois, ce n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Il faut aller plus loin. Oser. Inventer. Expérimenter. A l’hôtel Monte Cristo, à Paris, c’est l’effervescence, comme si ce 4 étoiles ne connaissait pas la crise. Si, bien sûr, il la traverse, comme tout le monde. Mais Florian Bitker, le directeur des opérations du groupe les Hôteliers impertinents, dont fait partie le Monte Cristo, n’en finit pas de tester, caler, ajuster une stratégie, parfois d’une semaine à l’autre. Résultat : depuis mai 2020, le taux d’occupation de l’hôtel a oscillé entre 32% et 77%. Une performance au regard d’une moyenne parisienne plutôt autour des 15%. Mais Florian Bitker a pris le risque d’une perte de prix moyen de 50%. Le bon côté de la chose : ses collaborateurs viennent travailler entre trois et cinq jours par semaine. Une dynamique qui soude une équipe et l’incite à sortir des sentiers battus. Exemples : le responsable du bar à rhum de l’hôtel met ses cocktails en bouteilles, pour la vente à emporter, et une chambre a été transformée en salon de dégustation. L’audace et les offres en versions très originales sont de bons alliés pour avancer, ces temps-ci. On le voit aussi chez les restaurateurs. Après son « fish & chips » en « click & collect », le chef étoilé Guillaume Sanchez propose un cheeseburger à emporter, dans son restaurant parisien Neso. Plus bucoliques : « Les paniers d’Alain ». Disponibles à l’Arpège, table d’Alain Passard également à Paris, ils sont garnis d’une sélection de légumes rapportés des potagers du chef triplement étoilé.
Nidum : le cocon imaginé par le studio MHNA, pour « rester dans sa propre bulle, sécurisé contre le Covid ».© DR
Dessins et croquis du projet « Distanciation sociale pour les lieux de restauration » par Patrick Jouin
@Patrick Jouin
La méridienne S 5000 Retreat de Thonet se veut tel un espace à l’abri de toute nuisance, respectueux de la distanciation sociale.
© DR
« Conciergerie de table » et « cocon pour rester dans sa propre bulle »
Et demain ? Quand certains ont encore du mal à se projeter dans l’avenir, d’autres y réfléchissent sérieusement. Quitte à envisager un futur où il faudra composer avec des virus et leurs variants. Pendant le premier confinement, le chef Yannick Alléno a pris le temps de plancher sur « une autre façon de penser le restaurant trois étoiles ». Avec la complicité du consultant Erik Perey, il a mené une réflexion qui a débouché sur un livre intitulé Tout doit changer ! Quel service pour le grand restaurant. Dans cet ouvrage, il parle de « l’ultra-personnalisation » de la prestation proposée aux clients, grâce à la mise en place d’une « conciergerie de table ». Son principe : avant, pendant et après le repas, tout est fait pour coller au plus près des goûts et des attentes du client. Le chef triplement étoilé évoque aussi l’installation de voiles entre les tables, pour intensifier le côté exclusif d’un déjeuner ou d’un dîner, mais aussi pour éviter toute promiscuité avec les voisins. Une problématique qui inspire également designers et architectes d’intérieur. A l’instar de Patrick Jouin qui, dès le printemps 2020, a planché avec le chef étoilé Alain Ducasse, des médecins de la Pitié-Salpêtrière et l’architecte Arnaud Delloye, sur un système qui associe paravents et ventilation. Les paravents, créés à partir de voiles de char recyclées et recyclables, séparent les tables d’un restaurant, et au-dessus de chacune d’elles, une ventilation associe bouche de soufflage d’air neuf et dispositif d’extraction. Autre exemple : cet automne, le studio MHNA, fondé par Marc Hertrich et Nicolas Adnet, un duo habitué aux réalisations pour le secteur des CHR, a imaginé Nidum, qui signifie nid ou cocon, en latin. Car c’est cette notion de protection, confort et même réconfort que vont rechercher les clients, dès la réouverture des restaurants. Marc Hertrich et Nicolas Adnet parlent de « rester dans sa propre bulle, sécurisé contre le Covid ». D’où Nidum, qu’ils ont conçu pour accueillir une à quatre personnes, dans une alcôve dotée d’un haut dossier légèrement incurvé, avec table centrale et coussins moelleux posés sur une banquette circulaire, qui épouse la forme arrondie du cocon. Même envie de protéger au sein de la maison Thonet. Le fabricant de pièces de mobilier vient de présenter le S 5000 Retreat. Il s’agit d’une réinterprétation de la méridienne Thonet par le Studio Irvine. Celle-ci offre un espace à l’abri des regards, du bruit et de toute autre nuisance. Plus élégantes et plus enveloppantes que des séparations en plastique ou en plexi, ces banquettes-cocon pourraient trouver leur place dans les restaurants de demain. Gestes barrières et distanciation sociale obligent.
Une serre pour deux : c’est ce que propose le restaurant Mediamatic Eten à Amsterdam, pour déjeuner ou dîner en bord de canal. Photo: @willem velthoven
Cabines de verre ou îlots verdoyants aménagés permettent de recevoir de petits comités au Pier 17, face au pont de Brooklyn.
Photos: @The Howard Hughes Corporation/Giada Paoloni
Îlots verdoyants à New York et serres en verre à Amsterdam
Enfin, au niveau international aussi, on cherche des solutions. Sur son rooftop face au pont de Brooklyn, le Pier 17, à New York, propose des îlots de verdure sur lesquels chaises longues, tables basses et parasols sont installés pour recevoir une dizaine de convives. Ça, c’est la version estivale. L’hiver, des cabines tout en verre, aménagées comme de petits salons, remplacent les îlots verdoyants. Dans le même esprit, le restaurant Mediamatic Eten, à Amsterdam, a mis en place des serres en verre, dotées chacune d’une table pour recevoir deux personnes. Des convives de préférence vivant déjà sous le même toit. Ces capsules posées en bord de canal offrent une vue imprenable sur la ville. Reste à savoir si elles vont faire tache d’huile dans la Venise du Nord.